Confiance et culpabilité
J’ai attendu des mois qu’il accepte de vivre avec moi
et même quand c’est arrivé
je ne croyais pas qu’il pouvait m’aimer.
J’ai attendu des mois qu’il me demande en mariage
et même quand c’est arrivé
je ne croyais pas qu’il pouvait m’aimer.
J’ai attendu qu’il veuille un enfant
et même quand c’est arrivé
je ne croyais pas qu’il pouvait m’aimer.
J’ai eu un cancer et il est resté.
Il m’a laissé « ne pas me soigner »
et même quand c’est arrivé
je ne croyais pas qu’il pouvait m’aimer.
A tel point que je faisais tout
pour être la femme parfaite,
la mère parfaite,
la wonder woman qui s’assume
la femme surprenante, entreprenante,
compatissante, intelligente,
en fonction de ses critères à lui.
A tel point que j’ai fini par le détester.
Alors je l’ai critiqué, insulté, frappé, renié, quitté.
Lui, il est resté.
Je lui ai fait vivre des mois sans me toucher,
et il est resté.
Je l’ai câliné, collé, dorloté, aimé,
j’ai parlé, expliqué, cherché, discuté, questionné,
remis en question, poussé, bousculé, fait changé,
et il est resté.
Je continuais à choisir, moi
de ne pas me respecter
en l’accusant de ne pas réaliser
tout le travail que je faisais
pour lui, pour eux, pour nous.
Il répondait qu’il ne m’avait rien demandé.
Alors j’ai fait mes cartes au trésor
pour enfin me redresser et récupérer
le droit de dire non, de partager les tâches,
de ne plus me justifier, ne plus me forcer,
faire ce que je sens juste sans culpabiliser.
Ne plus me laisser manipuler, ni le manipuler,
m’affirmer, dire tout haut ce que j’étais,
compter avec lui en mutualisant
mon temps et son argent,
quitte à ne plus m’assumer,
et ne plus jamais le laisser m’engueuler.
Je me suis redressée
et j’ai appris à m’aimer.
Et bizarrement, j’ai alors pu l’aimer lui
tel qu’il était.
Ainsi, il a pu lui aussi se redresser.
Le droit dire non et oui aussi
et partager les tâches,
ne plus se justifier, ne plus se forcer,
faire ce qu’il sent juste, sans me culpabiliser.
Ne plus me manipuler, ni me laisser le manipuler
s’affirmer, dire tout haut ce qu’il était,
compter avec moi en mutualisant
mon temps et son argent,
quitte à assumer financièrement,
en retour du temps passé,
et ne plus jamais me laisser l’engueuler.
Il s’est même à son tour donné le droit de me quitter.
De longues années pour évoluer.
Pourtant alors que j’ai compris le message des hommes de foi :
le fait que « péché » en hébreux signifie « erreur »
et que je suis aimée quelles qu’elles soient,
je sens qu’à chaque personne que je vois,
je me demande encore :
« ai-je été trop ci, ou pas assez ça ? »
J’ai toujours cette peur,
une sensation que l’Autre ne va plus m’aimer.
Et ce soir là, j’échange avec lui :
Nous ne sommes plus ensemble,
je ne gagne rien pour le foyer.
Lui, en fait,
peut tout gérer s’il le souhaite
ou bien se faire aider :
il n’a pas tant de scrupule
et les moyens financiers.
Ainsi l’homme aussi peut
sans sa femme se débrouiller…
Il est assis devant moi.
Il connait tous mes défauts même les plus cachés,
mon manque de confiance en moi.
J’ai la sensation parfois
qu’il serait même plus tranquille sans moi
sans cette pression : ma peur qu’il ne m’aime pas.
Et pourtant il est toujours là.
Il aime l’équipe qu’on forme.
Comment c’est ?
Insupportable.
un mélange de panique et d’incrédulité :
Impossible qu’on puisse ainsi m’aimer.
Carte au trésor.
Encore ?
Oui. La vie, doit être facile, se vivre sans effort.
« Alors, comment c’est d’être aimée
même inutile, même imparfaite,
même sans raison ?
-Impossible ».
Quelque chose se débat en moi,
l’idée est physiquement intenable.
Et quand ça ne veut pas,
c’est qu’il faut aller chercher plus bas.
Sous la colère ou le rejet,
se cache une douleur indicible.
Comment c’est de te laisser être aimée
dans l’équilibre, sans tout gérer,
sans en faire plus, juste telle que tu es ?
-Douloureux.
–Est-ce que tu penses le « mériter » ?
-ça oui, aujourd’hui je le sais.
-alors, qu’est ce qui est si douloureux ? »
La douleur monte,
prend ma gorge, mon nez pique,
le ventre se crispe, l’émotion monte
et tout lâche.
« Parce que s’il peut m’aimer lui,
– ou tous ceux qui semble-t-il m’apprécient-
c’est que je suis digne d’être aimée.
–Et ?
– Et si je puis être aimée
alors pourquoi ne l’ai-je pas été ?
Pourquoi ces années d’humiliations, ces fessées,
ces critiques, moqueries, ces rejets
de mes parents, profs ou proches ?
Pourquoi ce sentiment de n’être jamais assez ?
Pourquoi cette enfant que j’étais
n’a pas pu été vue dès le départ et par tout le monde
pour ce qu’elle était
et reçu un peu plus de compassion
face à ses erreurs ou ses différences
quand elle était en âge d’apprentissage ?
Pourquoi tant de réactivité, de colère,
de violence, de sourcils froncés,
qui encore aujourd’hui m’effraient ?
Si lui m’aime telle que je suis,
et alors même que je suis redevenue moi
et que je vis maintenant pour moi
en fonction de ce que je sens juste et droit
alors ça signifie que tout ça
aurait pu être évitée.
Qu’il n’y avait rien à faire…
Ces années de peine, de honte et de culpabilité
à changer pour correspondre aux autres
jusqu’à ne plus savoir qui j’étais
et devenir une caricature de moi-même
n’étaient pas nécessaires…
– Non, c’est vrai, ce n’était pas nécessaire ».
Et ça explose dedans. Je laisse pleurer la douleur
des années de peur cumulées
et les dernières traces de mes conditionnements passés.
Tout semble soudain se liquéfier.
« Oui, pour être aimée, il n’y avait rien à faire.
Il n’y a rien à faire, rien à mériter.
Ces personnes t’ont élevée et aimée
comme ils l’ont eux-mêmes été :
plein de filtres, d’attentes et d’exigences.
Ils ne pouvaient pas, ne savaient pas faire autrement
mais c’est terminé maintenant.
Par toi, cet homme a appris à s’aimer inconditionnellement.
Par lui, toi aussi tu apprends.
C’est la magie l’être humain :
On apprend à s’aimer en s’aimant.
Et maintenant que tu l’as reçu,
tu va pouvoir le rayonner
et aimer chacun tel qu’il est
non plus pour qu’il t’aime en retour
mais pour qu’il apprenne à son tour.
Va, vis, aime, ton coeur est en paix…