De la réaction à la libération
Depuis que je l’ai récupérée à l’école elle pleure.
Enfin non.…
Elle gémit, elle parle d’une voix plaintive.
D’aucun diraient qu’elle « chougne ».
Calme-toi Anne-Charlotte, si tu t’énerves ça va être pire.
On a tous le droit d’avoir des jours sans…
Oui, mais bon, c’est très théorique ça…
Physiquement, c’est plus fort que moi, je me tends.
On rentre à la maison et elle fait tout à deux à l’heure.
Quand je lui demande de venir nous rejoindre son frère et moi
pour faire ses devoirs à la cuisine, elle geint.
Et au lieu de venir la chercher en douceur ou de mettre de l’humour,
je commence à m’énerver.
Je sais que l’enfant apprend en nous voyant faire
mais je suis incapable de réagir comme j’aimerais…
Je suis tendue, je parle sec, je suis hostile et elle le sent.
Alors elle chougne.
Face à mon agressivité, ses plaintes sont sa meilleure défense.
« C’est bon, tu as finis tes devoirs, tu peux aller jouer » dis-je agacée.
Elle sort de la cuisine en geignant sur je ne sais quoi.
Je n’entends même plus le sujet…
juste mes pensées qui montent d’un coup
après avoir été étouffées.
Il faut que ça s’arrête… il faut que ça s’arrête !
Et tout sort au moment où elle part :
« Aller, file ! Va chougner dans la chambre !
Y en a marre maintenant ! T’es jamais contente ! »
Et elle tombe en larmes.
Ma colère me protége de ma culpabilité.
Je ferme la porte brutalement derrière elle…
Le son de ses pleurs m’est insupportable.
Pourtant je connais ma fille :
son visage souriant, ses mots tendres, ses câlins.
Ce n’est pas vrai, elle est contente plein de fois.
Mince, mon fils est là et il m’a vu faire.
J’ai fait exactement ce que je lui dis de ne pas faire avec sa soeur.
Alors je mets des mots :
« C’est pas possible, j’y arrive pas.
Je ne sais pas comment ne pas m’énerver
-Comment c’est ?
-Quoi?
-Comment c’est dans ton corps, maman, quand elle pleure ? »
Il lance ma carte au trésor, comme je le fais avec lui quand il est mal…
Magique.
Pour lui c’est devenu un mode de vie.
Quand quelqu’un est en colère, il sait que ça parle de lui.
Je ferme les yeux :
« Je me sens tendue, partout…
-Et c’est comment ?
-Comme si j’avais peur.
-Il y a autre chose ?
-Non, j’ai peur, partout, j’ai peur.
-Laisse faire ton corps… laisse le faire « j’ai peur ».
Alors je me mets accroupie, les bras autour des genoux
et je me laisse pleurer.
L’espace d’un instant je me demande si c’est bien de faire ça devant lui.
Oui, être parent ce n’est pas tant de protéger son enfant de ce qui est,
c’est lui apprendre à en faire quelque chose.
Il ne craint pas de me voir pleurer,
il sait que c’est un outil naturel du corps
car je me suis toujours laissée pleurer
et je les accompagne à le faire dès que nécessaire.
Alors je me laisse pleurer…
« Comment c’est là ?
-J’ai peur, partout, dans chaque cellule jusqu’à la racine des cheveux.
-Et il y a des mots avec ?
-Il arrive et il va crier, il arrive et il va crier, il arrive et il va crier… »
La phrase se répète et je sens combien je suis terrifiée.
Je me laisse répéter autant que nécessaire et d’un seul coup, tout tombe.
Mon calme revient.
Ce n’est plus sombre, tout est lumineux.
Je suis ici et maintenant.
J’ouvre les yeux et je souris.
« Merci mon grand » et je le serre contre moi.
Je rejoins ma fille dans sa chambre et je m’excuse d’avoir été agressive.
Je la serre contre moi
et soudain une image, comme un flash :
ce retour de l’école. Eux souriants et joyeux.
Moi fatiguée d’une grosse journée sans pause.
J’ai envie de rentrer et eux de profiter du soleil et des amis dans le parc.
Je sens que ça ne va pas se passer comme je le souhaite
et je commence à me plaindre et les culpabiliser…
CQFD