De la peur du rejet à la simplicité
Ça fait 20 minutes qu’elle est là
son sac sur ses genoux,
serré entre ses mains.
Dès qu’elle a vu
que Géraldine m’avait invitée aussi
elle s’est assise sur sa chaise, figée.
Je lui dis bonjour
avec mon plus grand sourire
pour la mettre à l’aise.
Géraldine, face à nous,
nous parle à toutes les deux.
Mais elle ne tourne jamais
son regard vers moi.
Cinq ans que je croise cette mère
sur le trajet de l’école.
Nos filles ont été chez la même nounou.
Cinq années et elle a toujours eu
cette énergie de rejet,
comme si j’étais une mauvaise fréquentation…
L’espace d’une minute,
Géraldine et les enfants
entrent dans la cuisine.
Je veux en avoir le coeur net :
« Est-ce que j’ai dit ou fait quoi que ce soit
qui t’ai offensé ?
-Non, répond-elle immédiatement
un sourire figé.
-D’accord, parce que quand on se croise
j’ai toujours la sensation qu’il y a un froid,
alors je voulais être sûre…
-Non, non, répète-t-elle avec le même sourire,
et son regard fuit vers le fond du jardin
attendant que d’autres êtres humains
reviennent vite.
Elle ne tarde pas à repartir.
« oui, effectivement,
on sent bien qu’il y a un froid » sourit mon amie
quand je lui pose la question.
Je rentre chez moi la boule au ventre.
Etre rejetée sans savoir pourquoi.
Etre rejetée sans avoir rien fait de mal.
Etre jugée sans même qu’elle soit venue vérifier…
Soudain, je reçois un sms.
La dame de la cabane m’agresse*,
m’accuse de trucs que je n’ai pas fait
et me demande un chèque de remboursement.
Décidément…
Mes jambes tremblent…
Le soir, une fois les enfants couchés,
je me pose, fébrile, sur mon canapé.
Je suis… terrifiée.
C’est comme si…
Comme si les yeux noirs de cette mère
pouvaient littéralement me tuer.
Même là, chez moi, à distance.
Mon mari me rejoint.
Il s’assied à côté de moi :
« Tu es vraie,
tu es toi-même et c’est une bonne chose.
Il y aura toujours des gens pour te critiquer.
Tu ne peux pas te taire
et rester enfermée toute ta vie
pour les éviter…
Et tu ne peux pas non plus
aider les autres contre leur gré.
Je fonds en larmes.
Ses mots résonnent.
Pourtant, l’idée d’être rejetée pour ce que je suis
sans chercher à changer pour m’adapter
à ce qui plairait à l’autre,
l’idée d’assumer mes idées, mes élans de vie
comme finir ce livre par exemple,
me fait peur.
Je me sens exposée, vulnérable…
Carte au trésor.
Je contacte les sensations à l’intérieur :
l’angoisse, le noeud dans le ventre.
L’émotions émerge, les larmes coulent.
Puis les mots qui vont avec
« j’ai peur, j’ai tellement peur… «
Je laisse venir ensuite les images
le regard noir de mon père
juste avant de nous tomber dessus
sans même se demander
si son interprétation est juste.
Le regard noir de Mme Maire en CE2.
Ce jour-là,
le doigt levée, je crie ma réponse à sa question.
Je suis la seule à donner cette réponse.
Elle me regarde droit dans les yeux.
« c’est moi qui ai raison,
c’est pour ça qu’elle me regarde »
je souris encore plus fort, fière de moi…
Ma réponse est fausse…
Son filtre d’adulte voit en moi
une insolente qui crie une erreur exprès
le sourire aux lèvres, pour se moquer d’elle…
Alors elle se précipite sur moi
me saisit, me lève, baisse mon pantalon,
et me gifle les fesses un grand coup
pour me punir de ce qu’elle croit que j’ai fait…
« J’ai vu tes fesses »
me chuchote mon voisin de classe
au moment où cette femme
me rassied violemment
et me laisse sur ma chaise
rouge de honte
et tremblante de peur.
Les souvenirs remontent
les larmes coulent
et les émotions sortent :
La tristesse, la peur, l’injustice,
ces adultes supposés me protéger,
me comprendre, me laisser le bénéfice du doute,
m’apprendre à vérifier avant de prendre contre soi
et qui deviennent en une fraction de seconde
la source même du danger…
Les images défilent,
tous les regards croisés
qui m’ont vue comme je ne suis pas
et qui m’ont punie ou rejetée pour ça.
Les jugements durs et prompts
et l’impuissance à se défendre
puisqu’on ne me demande rien.
Dans un expire, je ferme les yeux.
Je laisse venir devant moi
comme sur un écran,
la petite Anne-Charlotte.
Je lui reconnais enfin tout haut
ce qu’elle a pu ressentir :
« Je comprends ce que tu as vécu,
tu as eu peur. Tu t’es sentie seule,
jugée, vulnérable, en danger…
tu l’as vraiment été.
Ce n’était pas normal,
Ce qui s’est passé n’aurait jamais dû se passer..
Tu aurais dû être protégée.
Mais tu n’es plus seule :
je suis là maintenant.
Et moi je n’ai pas peur d’eux.
Je suis adulte. J’ai ce qu’il faut.
Je sais que leurs filtres parlent d’eux,
je sais que tu es une bonne personne
et que tes intentions sont bonnes,
tu n’as rien fait de mal.
A partir de maintenant,
je suis là, je te protège,
tu ne risques plus rien »
Je respire.
Le calme revient.
Alors tout se transforme à l’intérieur :
cette agitation constante
qui me fait d’habitude parler
et partir en croisade à la rencontre des gens
pour les convaincre que je suis gentille
tout ça a quitté mon corps.
Dedans, tout est immobile et silencieux.
« Dans ce cas, ça va être facile,
je vais simplement vivre ma vie…
Ecrire pour ceux qui veulent lire
accompagner ceux qui me choisissent comme thérapeute
m’occuper de mes enfants
et passer du temps avec mes amis
sans plus chercher à aider
ceux qui ne veulent pas de mon aide
ou a convaincre qui que soit de ce que je suis.
-oui, tout à fait.
-mais alors, ma vie va être vraiment basique !
-Si tu fais vraiment tout ça ma puce,
je crois que ta vie sera extraordinaire.
-Dans ce cas…
elle est déjà extraordinaire…
-Ben oui »
Il me sourit.
Et ce soir-là, pour la première fois
je passe la soirée sereine
avec lui, sur le canapé,
à rire sans besoin de me lever pour faire quelque chose
à l’écouter sans avoir besoin de lui répondre
et savourer l’instant présent.
Plus de mots, plus d’action, plus d’urgence,
un calme serein s’est installé…
…je suis en sécurité au-dedans de moi.
Une fois de plus,
le rocher sur mon chemin
était en réalité un diamant brut
qui était prêt à être révélé.
Mes ressentis étaient en fait,
une carte au trésor à suivre…
(*voir « Etre Mieux 1/2)