Perfectionnisme et apprentissage…
Je rentre de ma balade du matin.
C’était génial…
J’ai vu le lever de soleil,
marché pieds nus dans la rosée,
plongé mes yeux dans la verdure des arbres,
fait du yoga au son des oiseaux…
tout était parfait.
J’ai ouvert la porte d’entrée en chantant.
…Rien ne pourra changer mon état, c’est sûr, cette fois
c’est pour toujours : je n’aurai plus jamais de carte au trésor…
Je vais pour pendre mon petit déjeuner…
Il m’appelle…
« Tu peux venir m’aider ? »
Ben… j’ai le choix ?
Je me dirige vers le son de sa voix.
Il me mène vers les toilettes…
…nos toilettes…
…en chantier depuis un an.
Même le professionnel engagé
n’a pas été capable de les finir,
c’est un signe ?…
J’arrive face à lui.
Il me sourit et me tend un pinceau
« C’est minutieux, j’y arrive pas
tu veux bien m’aider ? »
Il a décidé de finir le chantier, c’est chouette.
Tiens ? Et il a réussi à démonter les toilettes
pour peindre derrière…
… et il a commencé à peindre
le morceau de mur qui restait derrière.
Et il demande mon aide pour la partie délicate…
Instantanément, j’oublie mon petit déjeuner
et je saisis le pinceau.
Il me laisse la place,
je m’avance…
Mes yeux se mettent alors en route
et scannent la pièce.
Il a commencé à peindre directement…
il n’a pas poncé le mur avant…
c’est tout rêche.
Le pinceau est rond
alors que la surface est plane…
ça fait barbouillé.
Il n’a pas mis de scotch de protection
autour du tuyau d’arrivée d’eau…
il va y avoir des traces de peinture
sur le mur ou sur le tuyau…
et il n’a pas mis de scotch non plus
sur les murs d’à côté
ni sur la plinthe…
ça va faire des traces là aussi.
Et puis il a mis les feuilles n’importe comment
par terre, il va y en avoir sur le carrelage neuf…
Et il a posé son pinceau
dans un de mes plats de service en plus !!
La tension monte en moi d’un coup.
C’est n’importe quoi.
Tout le monde sait que le plus long en peinture
c’est de préparer les surfaces.
On ne commence pas par peindre !
Il fait chier merde !!
A cause de lui ça va être tout moche !
Agrippée à mon calme, comme au pinceau,
je sourit tant bien que mal, et je me retourne
en mentionnant tous ces détails auxquels il n’a pas songé
par flemme ou manque d’expérience.
Au fond de moi, je boue… je le méprise même je crois.
Il sens ma colère et me dit, défensif,
de me débrouiller toute seule la prochaine fois qu’il y a des travaux.
Je repense à notre échange d’hier :
« Quand c’est pas fait comme tu veux c’est jamais bien de toute façon »
Je ne veux plus être celle qui fait tout.
Mais je ne veux pas que tout soit fait n’importe comment non plus.
Dilemme, conflit intérieur…
…Carte au trésor
Je viens rencontrer en moi ce que je vis,
quelle est cette croyance en moi
qui me met dans cet état ?
Et bien Charly,
comment c’est pour toi
quand il y a des défauts ?
Je me réponds :
Les gens vont voir que c’est moche
Ils vont juger que je suis beauf
pas raffinée…
« Les gens… » je souris.
Je l’ai déjà faite cette carte au trésor là,
la peur du regard des gens…
En plusieurs fois… un gros morceau.
Je n’ai plus peur du regard des gens maintenant…
Cette pensée passe et la suivante arrive.
MOI, moi je vais voir tous les jours que c’est moche
alors que ça aurait pu être parfait !
-Et comment c’est, quand c’est pas parfait ?
–C’est… c’est comme une sensation d’urgence
dans tout mon corps. Une pression à l’intérieur,
dans mon ventre, un besoin d’agir…
-Est ce qu’il y a des mots qui vont avec ?
–Oui, ça crie « C’est n’importe quoi ! »
-Qui disait ça quand tu étais petite ?
Je vois alors apparaitre en moi deux yeux sévères
gorgés de reproches. Mes parents.
Les souvenirs remontent :
les lattes du portail en bois que j’ai vernis
les portes de la maison
et tout ce que j’ai fait sans que ce soit parfait.
J’entends leur phrase sur le ton de reproche,
comme si j’étais ignare
alors que j’étais simplement là pour apprendre
et surtout faire le travail à leur place
parce qu’ils n’avaient jamais le temps:
« Ce qui prend du temps
c’est de préparer le chantier ! »
Et d’autres souvenirs affluent :
les notes, les remarques reçues à l’école
quand j’échouais dans un travail.
On ne nous apprend pas à l’école
que c’est par l’échec qu’on progresse
que ça fait partie du processus.
Je vois devant mes yeux la petite moi et tout ce qu’elle a pris
toutes ces années dès que ce n’était pas conforme aux attentes de l’autre.
Alors je lui parle :
« Je comprends, tu t’es sentie coupable et nulle dans leurs yeux.
Quand c’était « mal » fait tu n’étais pas guidée, encouragée
à comprendre et recommencer mieux.
Tu étais grondée, honteuse,
coupable, comme s’il fallait qu’un enfant se sente mal pour faire mieux.
Tu as crus que « pas parfait » = danger, rejet.
Cette peur qui te fait réagir à ton mari,
c’est une part gardienne et protectrice, une injonction mémorisée
pour ne risquer aucune critique, aucun rejet
être sûre d’être aimée, sécurisée… »
Je laisse monter l’émotion
des sensations mélangées :
Tristesse de ne pas avoir eu le droit
de me tromper en étant comprise et soutenue.
Colère contre cette éducation sans compassion
qui ne permet pas de faire des erreurs
pour apprendre sereinement.
Peine pour mon mari
qui a mis tout son coeur dans son élan
qui a pris une initiative
et que je viens de descendre
comme j’ai été descendue petite.
Peur de lâcher prise sur cette exigence…
Je laisse tout monter et se vivre en moi.
Et ça s’apaise tout seul…
Et la ressource arrive :
La compréhension, la compassion…
la douceur.
C’est normal d’essayer, de se tromper,
d’oublier, d’échouer ou de rater.
C’est comme ça qu’on comprend.
Ce « chaos », c’est la vie qui se met en place,
la patine de l’humain qui apprend.
Tout change alors dans mon regard…
Ce mur n’est plus le chantier
d’un « incapable ».
C’est le symbole d’un mari
qui ose, qui essaye et
prend des initiatives,
qui a eu l’humilité aussi
de me demander de l’aide,
qui s’est trompé et qui va apprendre,
comme j’ai appris avant lui,
si je ne le dégoute pas par des reproches.
Un mari qui fera mieux la prochaine fois
maintenant qu’il a constaté
les conséquences de ses oublis.
Ce mur n’est plus un échec,
il a l’aspect de :
« on l’a fait nous mêmes ».
Et soudain ce mur devient parfait
Il prend l’aspect de :
« Pendant ce temps-là
je vais aller me détendre
et faire jouer avec mes enfants ».
Joie
Je reviens dans les toilettes et
j’embrasse mon mari :
« Quoi que tu fasses ce sera juste,
n’ait pas peur, vas y, fais… »
Et je vais chercher un puzzle…