Parfois, je ne sais plus vraiment qui je suis. Et quand je le sais, je suis incapable de le vivre. Et si je le vis, il y a une peur dans mon ventre : peur du regard, du jugement de l’autre, comme si son opinion était tangible, un risque pour moi et qu’il allait m’arriver quelque chose si on ne me valide pas. Ou peur que quelque chose se passe : ça ne peut pas être si simple. Ou bien c’est comme si je ne le méritais pas. Comment en est-on arrivé là ? Genèse…
Autrement dit…
Un petit d’homme ne peut pas survivre seul. Pour grandir et s’épanouir sainement, il doit être certain qu’on va s’occuper de lui, quoi qu’il arrive, se sentir en sécurité, protégé des prédateurs et nourri…
Or, en tant que parent, on a souvent l’impression que notre enfant peut « mal tourner », comme ça, sans raison. Alors on l’observe, on interprète ses gestes, ses mots, on anticipe.
Pourtant innocent, on projette sur lui des intentions qui parlent de nous. Il « fait exprès », il « manipule », il « teste », voire même il « vole » ou « ment », sans aller chercher sa vérité. On a peur d’être perçu comme mauvais parent.
Ce faisant, il devient petit à petit ce qu’on voit de lui. Quitte à être puni autant que ce soit pour une bonne raison…
Et puis j’ai des exigences, que j’estime justes et normales – parce qu’on les a exigées de moi quand j’étais enfant et que je les ai intégré comme des vérités. Alors, quand il n’est pas ce que j’attends de lui, ce que j’estime qu’il doit être, je pense normal de le dresser, le soumettre à mes décisions, mes règles, mes croyances. J’appelle ça « éducation« .
« Un enfant sain et bien élevé est un enfant discret, docile, sage, obéissant et doué pour les apprentissages scolaires. Il doit correspondre aux attentes de son environnement » pense-t-on.
Si mes mots ne marchent pas, j’utilise la peur (cris, menace, rejet, humiliation, punition, sanction). Comme s’il était nécessaire qu’un enfant se sente mal pour faire mieux.
En plus, dressé moi-même, je suis coupée de mes propres besoins. Je ne suis jamais moi-même : toute la journée, avec les autres, je suis un personnage qui s’est construit pour correspondre à ce qu’il pensait qu’on attendait de lui et être, moi aussi, en sécurité, validé, accepté. Et c’est fatiguant de ne pas être Soi, surtout quand on ne s’en rend pas compte. Alors quand je rentre à la maison, je n’ai plus de réserves, plus de patience. A nouveau, c’est sur mon enfant que j’explose de colère ou que je projette la culpabilité qui me meut.
Ainsi, très tôt, au lieu de se sentir aimé de façon inconditionnelle, Bébé voit des yeux en colère, des sourcils froncés, il entend des voix fortes qui font peur : on peut ne plus l’aimer à cause de ce qu’il fait ou dit. Il est en risque dès qu’il sort du « cadre » supposé évident de son environnement. Pire, les personnes supposées le protéger sont celles qui sont capables de la plus grande agressivité….
L’enfant passe du sentiment d‘Etre aimé à la peur d’être rejeté, de la Confiance au doute et à la crainte, d’Etre Soi dans le respect des autres à correspondre aux autres et avoir des attentes sur eux, de sa Vérité au mensonge qui le protège, de l’Instant présent à l’anticipation des risques, du Jeu à l’effort, de « j’ai envie« à « il faut« , de l’Action juste, calme et réfléchie à la réaction défensive automatique, de Créer, apprendre, comprendre à travailler, de la Joie de l’Expérience au besoin de réussir, de la Réalisation de Soi au besoin d’Appartenance et de Reconnaissance de l’autre.
Il bascule dans un monde de peur : il doit se protéger tout seul. Alors, il fait taire son naturel et crée une Part Gardienne : le personnage. Il développe une hypersensibilité pour prévenir du danger : il observe les réactions, les visages, devient empathique capable de sentir l’état intérieur de l’autre. Il analyse le lien cause à effet entre ses actions et les réactions. Puis, il polarise chaque comportement en bien ou mal et mémorise. Il devient capable de prévenir toutes les réactions possibles pour se protéger : il se plie aux attentes avant même qu’elles ne se manifestent. Il sait comment chacun fonctionne et comment s’en protéger. Et, comme il reçoit des compliments rassurants ou bien des regards de compassion, il conserve cette façon de faire là et rejette les autres. Il intègre ces façons de faire comme des vérités qu’il ne remettra plus en question…
« Bien », c’est quand il obéit en silence – quitte parfois à subir les abus des adultes qui jouent de cette tendance éducative « l’adulte à toujours raison ».
« Mal » c’est quand on interprète ses intentions à travers nos visions d’adultes qui deviennent alors les siennes, sans qu’il ait pu expérimenter si c’est vrai et pourquoi.
Ce faisant, il se prive de toutes les ressources d’un adulte accompli : la répartie (« ne réponds pas ! Impertinent ! »), le sens de l’argumentation (« tu veux toujours avoir raison ! »), la confiance en lui (« quelle arrogance ! »), le courage et l’audace (« ce n’est pas bien, pas de ton âge, trop dangereux ! »), le droit de dire non ou pas comme ça, pas tout de suite, pas totalement (« Obéis ! Tu vas être puni… »), la persévérance (« laisse-moi faire ça ira plus vite », « tu es trop petit »), la détermination (« tu es têtu toi ! »), le droit à l’échec (« c’est pas vrai ! Tu as tout renversé ! »), l’audace ou la joie de découvrir et d’expérimenter (« tu vas tomber », « c’est trop dangereux », « ça sert à rien »), l’humour (« petit insolent ! »), remettre en question l’ordre établi (« pour qui tu te prends ? c’est comme ça et puis c’est tout! »), la vulnérabilité (« débrouille toi », « pleure pas, c’est rien », « bravo tu es une grande fille »), l’intuition (« c’est pas comme ça qu’on fait », « ça ne marchera pas »), la créativité (« c’est n’importe quoi ça »), le temps et la réflexion (« aller, dépêche-toi ! »), la capacité à se défendre (« attention, tu vas prendre une fessée ! »), la capacité à prendre soin de lui (« mais si, il fait froid, mets un gilet! », « finis ton assiette »…), l’entre-aide et la solidarité (« t’occupe pas, ce ne sont pas tes affaires, on ne t’a pas sonné »), le repos, le jeu pour le plaisir, le rire, l’entraide, l’imaginaire, le rien… Jauger, évaluer, prendre son temps devient « lenteur », expression devient « bavardage », intériorité devient « dans la lune », opinion/curiosité n’est « pas de ton âge », apprendre devient « laisse-moi faire tu es trop petit ».
On ne comprend pas pourquoi bébé a perdu son sourire, sa joie de vivre. Pourquoi il a perdu son envie, son élan à découvrir, essayer, toucher, bricoler. Pourquoi il est hostile, agressif ou intolérant à son tour, pourquoi il n’a plus de compassion. Pourquoi il veut être le meilleur ou au contraire pourquoi il n’ose plus de peur d’être « pas assez ». Et plus tard, pourquoi il n’a plus envie de rien et se cache derrière les écrans.
Et au lieu de se remettre en question, de chercher à comprendre, on juge encore…
Il ne connait plus l’extase de se sentir pleinement Soi, sans peur, sans attente de résultat, sans besoin d’un retour pour le rassurer, une validation, une reconnaissance extérieure…
Pourtant le naturel est toujours là, dedans, qui explose parfois, comme un barrage lâche : cris, larmes, colères, retrait, phobies.
L’enfant finit par penser qu’il a un problème, que c’est lui le problème…
Il vit, conditionné dans une structure inconsciente, qui apparait à chaque fois qu’il « réagit » au monde de façon conflictuelle. Une fois adulte, on lui fait même croire il y a un égo à dompter, des défauts à changer, des émotions à « gérer« , une maladie à « soigner », un karma ou des péchés à expier…
On a oublié que l’enfant apprend par l’expérience. Pour intégrer une connaissance, savoir faire ou décider de ne plus faire, il a besoin de tester, explorer, comprendre, ressentir, expérimenter.
On a oublié que le Néocortex apprend uniquement si l’enfant se sent en sécurité, sinon le Cerveau Reptilien se met en mode défensif et l’apprentissage est bloqué.
On n’a oublié que l’engrais du cerveau ce sont l’envie et l’enthousiasme. L’enfant a besoin d’un environnement stable et non-violent et d’aborder les choses parce que ça l’intéresse, quand il est prêt, quel que soit son âge.
On a oublié que l’enfant aime apprendre avant que ça devienne obligatoire et source de conflit. On est sûr que si on ne le force pas, si on ne met pas de pression, si on oblige pas, l’enfant va juste se laisser aller à ne rien faire.
On a oublié enfin qu’il existe 7 cerveaux différents et autant de façons d’aborder un apprentissage. Assis sur une chaise avec des feuilles, à devoir écouter quelqu’un affirmer des vérités qu’il doit retenir, c’est la seule façon d’apprendre qui ne fonctionne pas…
Et cette part naturelle qu’il a étouffé pour correspondre, ressortira plus tard sous forme d’une incapacité à accueillir le présent de façon simple et fluide, comme on n’a pas su l’accueillir, lui.
C’est ce que j’appelle une carte au trésor…