Les reproches
Quelques cartes au trésor plus tard
– une à chaque source de dispute –
mon regard sur nous change…
je vois notre histoire différemment…
Je t’ai reproché de trop sortir avec tes potes,
moi qui t’ai rencontré en soirée.
Je t’ai reproché de ne rien prendre au sérieux,
moi qui t’ai aimé pour ton humour.
Je t’ai reproché d’être matérialiste ou d’apprécier l’argent,
moi qui ai aimé que tu paies le resto et m’offre des fleurs ou des vêtements.
Je t’ai reproché d’être collé devant ta télé le soir,
moi qui te raconte mes problèmes pendant des heures
ou bien qui cherche à régler les tiens dès qu’on est ensemble.
Je t’ai reproché tes matchs de sport rébarbatifs,
moi qui aime des films et des séries qui finissent aussi toujours pareils.
Je t’ai reproché de ne pas t’intéresser à l’organisation de notre mariage,
moi qui avais une idée très précise de ce que je voulais
et qui attendais surtout que tu sois d’accord avec moi.
Je t’ai reproché de trop travailler,
moi qui ai aimé que tu sois un homme responsable
et capable de subvenir à nos besoins.
Je t’ai reproché de ne penser qu’à toi
quand tu rentres du travail,
moi qui aime que tu n’aies rien à faire,
fière d’être capable de tout gérer.
Je t’ai reproché de ne pas m’aider à la maison,
moi qui aime que les choses soient faites à ma façon.
Je t’ai reproché de porter seule la charge mentale,
moi qui absorbe tout comme si c’était une qualité.
Je t’ai reproché de ne pas me donner de marques d’amour,
moi qui suis incapable de m’aimer moi même
et qui ai fait de ton bien-être la priorité de ma vie.
Je t’ai reproché de ne pas savoir me faire de cadeau ni de surprise,
moi qui ne sais pas moi-même ce qui me fait vraiment plaisir…
Je t’ai reproché de ne pas me désirer ni me séduire,
moi qui avais l’impression de « passer à la casserole »
à chaque fois que tu posais tes mains ou ton regard sur moi.
Je t’ai reproché de ne pas être entreprenant,
moi qui ai l’art d’utiliser le « non » au sexe
comme une arme comme pour me venger
quand je suis contrariée.
Je t’ai reproché de ne pas être aussi proche que moi des enfants,
moi qui aime tant être le centre de leur monde
et qui ai si peur de ne plus être utile, nécessaire,
ou indispensable dans la maison.
Je t’ai reproché d’être plus proche des enfants que de moi,
moi qui t’aboie dessus quand tu me parles,
comme si je te faisais payer le faire de devoir être mère
et tout ce que ça implique comme conséquences
dont avant je n’avais pas conscience..
Je t’ai reproché de ne pas éduquer les enfants comme moi,
moi qui n’éduque pas les enfants comme toi.
Je t’ai reproché de ne pas leur faire à manger,
moi qui ne t’ai jamais vraiment confier cette responsabilité
comme si tu n’allais pas savoir faire.
Je t’ai reproché de ne rien faire à la maison,
moi qui te pousse à faire carrière et t’éclater
dans ton travail, fière de tout gérer.
Je t’ai reproché le temps que tu prends pour toi,
moi qui rêve de faire pareil.
J’ai été dressée enfant par mon exemple maternel
à aider, gérer, me rendre utile et ne jamais m’asseoir,
je suis devenue incapable de m’arrêter,
à la maison comme au travail.
J’enchaine les tâches sans fin, et je me sens insuffisante
quand tout n’est pas parfait, ou bien coupable de me poser.
Je t’ai reproché tout ce qui n’était pas comme mon père en toi,
toi qui a tellement de qualités que lui n’a pas.
Je t’ai reproché de ne pas être assez « homme »,
moi qui voulais m’assumer seule, salaire et maison,
perdant l’atout de la mutualisation des moyens (temps/argent),
moi pour qui compter sur l’homme, me reposer sur lui,
est une marque de faiblesse, une perte de pouvoir
plutôt qu’un travail d’équipe.
J’ai grandi dans un monde féministe
qui a détruit la noblesse de mes qualités de gestionnaire du foyer,
tout ça parce que ce n’est pas payé.
Je t’ai reproché d’être agressif,
moi dont les mots sont aiguisés comme des lames de rasoir
et qui manie la culpabilité comme Indiana Jones son fouet.
Je t’ai reproché de ne pas tenir compte de moi,
moi qui ne sais pas tenir compte de moi non plus.
Je t’ai reproché surtout de ne pas m’aimer telle que je suis,
moi qui ne sais pas encore t’aimer tel que tu es..
Je te reproche d’être
tout ce que je ne me laisse pas le droit d’être.
Je te reproche de ne pas être
tout ce qu’on m’a forcé à être.
J’attends de toi cet amour inconditionnel
et ce regard confiant sur moi,
que je n’ai jamais reçu enfant
et que je suis incapable de me donner à moi-même.
Je te fais porter mon besoin de reconnaissance intérieure.
Je t’ai reproché de ne pas faire pour moi
ce que je fais pour toi, toi qui fait beaucoup aussi
mais sur des plans différents.
Je pensais t’aimer en m’oubliant : j’accumulais en fait
une rancoeur indicible puis je te haïssais
de tout ce que je faisais pour toi.
Je t’en voulais de me dire que tu n’as « rien demandé »
et pourtant c’est vrai, on a toujours le choix…
Je pensais t’aimer, en fait je lissais toutes tes sources de contrariété,
faisant tampon de tes colères.
J’avais peur de la colère de mon père à travers la tienne…
alors j’ai tout fait pour la faire taire et je t’ai empêché de grandir,
de faire face à tes responsabilités
et aux conséquences de tes choix,
de faire exister mes besoins au même titre
que les tiens et progresser vers un « Nous ».