Le besoin de compliments
Quand j’étais petite
et que ma mère proposait à ma soeur un câlin,
je me sentais moins aimée.
Ça me faisait mal dedans,
comme une pointe dans le ventre.
Plus tard, quand j’avais plein de À en CP
et que la maîtresse et mes parents me complimentaient,
je me sentais plus aimée, mieux que les autres.
Supérieure.
Comme si leurs sourires signifiaient
que je méritais quelque chose de plus, que je valais plus.
Ça me motivait et je travaillais encore plus
pour réussir ce qu’ils attendaient de moi.
Plus tard, en CE 2, quand ma maîtresse était violente avec nous,
criait ou nous mettait des claques ou fessées déculottées,
mes notes se sont effondrées.
Seuls les élèves les plus « scolaires » s’en sont tirés.
Et je me suis sentie… plus rien. Inutile. Nulle.
Comme s’il fallait être plus que les autres,
particulière, préférée,
pour me sentir vraiment aimée…
Plus tard encore, au collège, les profs distribuaient les contrôles
en le rendant de la plus mauvaise note à la meilleure.
Ils accompagnaient chaque copie d’un commentaire
pour que les plus nuls se sentent honteux
et les meilleurs se sentent appréciés.
Comme s’ils avaient plus de valeur que les autres…
Ils pensaient nous motiver.
Leur regard ne tenait pas compte
d’une vision globale de l’enfant,
son contexte de vie et surtout ses qualités.
Celles qu’il avait par ailleurs,
dans d’autres domaines, humains par exemple,
et que les « bons élèves » n’avaient peut être pas, eux…
Mais je me voyais à travers leurs mots :
moyenne, passable, insuffisante.
Partout, je n’étais « pas assez ».
Avec mes amies, j’ai fait en sorte d’être ce qu’elles attendaient de moi.
Ce qu’elles pensaient bien d’être.
Quand je me sentais aimée dans leurs yeux,
je me sentais quelqu’un…
Même si je rentrais chez moi frustrée
et parfois honteuse de ce que j’avais fait.
Etre aimée, c’était être en sécurité.
Comme si le rejet était une sorte de mort…
Comme si les sourcils froncés, les remarques,
ou les vannes étaient littéralement mortelles.
Au fil des ans, je suis devenue experte dans le fait
de correspondre aux attentes des autres pour être reconnue.
Les compliments sont devenus la garantie de ma survie dans ce monde.
Mon oxygène.
Stagiaire puis salariée, je disais oui à tout.
J’étais sur tous les fronts,
quitte à faire le travail de ceux qui ne faisaient pas le leur.
Puis je me suis mise en couple.
Je n’imaginais même pas qu’il aille voir ailleurs
tant j’intégrais toutes ses critiques
pour m’adapter au fur et à mesure
et devenir la « femme parfaite ».
Même s’il restait toujours des critiques…
En revanche, une haine sourde a commencé à monter en moi.
Je lui en voulais de ne pas faire pareil.
De ne pas anticiper mes besoins à moi
ni voir tout ce que je faisais pour lui
Et si je lui en faisais le reproche, genre :
« …tout ce que je fais pour toi !»,
il me répondait « mais je ne t’ai rien demandé ! ».
L’enfer…
Plus je recevais de compliments,
plus je me sentais devenir aigrie, rancunière,
hargneuse, épuisée ou triste envers lui.
Si j’étais si aimée, pourquoi étais-je si malheureuse ?
Heureusement j’avais encore un peu de temps pour plonger
dans des séries où les personnages s’aimaient et ça compensait.
Je m’identifais à ces histoires d’amour
avec ces hommes doux et attentionnés,
prévenant et romantique. De la science-fiction !
Et puis j’ai fait un Burn out.
Et puis j’ai eu un bébé.
Etre la meilleure mère, être aimée par mon bébé…
24h/24 à correspondre aux attentes présumées
de ce petit être en plus de tous les autres.
Je vivais chaque pleur comme « je ne suis pas assez ».
Saut que la mère parfaite, ce n’est pas compatible
avec la working girl parfaite, ni l’amante parfaite,
ni même l’amie parfaite. Tout se contredisait
C’est devenu insupportable… J’ai implosé.
Et j’ai développé une tumeur de 5 cm dans le sein.
Et la peur de mourir pour de vrai a été plus forte que la peur du rejet.
Le besoin d’être mère est devenu plus fort que celui d’être aimée.
Alors j’ai suivi mon instinct et je me suis écoutée.
Facile, j’étais portée par l’amour inconditionnel
qu’on vous porte quand vous êtes malade.
Et j’ai gouté, un temps, le plaisir d’être Soi,
parfaitement alignée, authentique.
et d’être aimée quand même. Délicieux…
Et puis j’ai guéri.
Et la peur de mourir est partie
laissant à nouveau toute la place à la seconde, juste en dessous :
la peur des reproches, de décevoir, d’être rejetée, critiquée…
Et j’ai recommencé à correspondre
pour être reconnue sans même m’en apercevoir.
Avec elle, j’ai retrouvé cette sensation de vide intérieur
que seul un trop plein de nourriture, d’écran
ou de compliments peut combler…
Et j’ai fait une formation Faber et Mazlisch.
La formatrice parlait des dégâts causés par les critiques parentales.
Je ne me sentais pas concernée.
Puis elle a lancé « mais les compliments et les récompenses ce n’est pas mieux.
L’enfant intègre qu’il n’est pas libre d’être lui et d’expérimenter
et qu’il doit correspondre aux attentes des adultes pour être aimé.
Alors il devient dépendant des retours positifs en plus d’avoir peur d’échouer ».
…les compliments et les récompenses
ce n’est pas mieux :
l’enfant intègre
qu’il n’est pas libre d’être lui, d’expérimenter
et qu’il doit correspondre aux attentes
des adultes pour être aimé…
Il se « soumet » aux attentes de peur de ne plus être aimé.
Il devient « dépendant des compliments ».
Il se construit en fonction des autres,
mais ne sait toujours pas qui il est
parce qu’il n’a pas eu l’occasion de tester.
L’enfant doit apprendre à se trouver lui,
s’aimer lui, qu’elle que soit son expérience,
qu’elle plaise aux autres ou pas..
Tirer ses propres leçons de ses propres choix.
C’est ainsi qu’il se construit solidement :
quand il s’aime lui même, sans dépendre
de la reconnaissance des autres.
Car alors il n’agit pas par peur mais par conviction.
Il devient juste et conscient plutôt qu’obéissant.
J’ai compris alors que toute mon être
avait été construit sur la base de ce modèle :
bien et mal, compliment/critique…
Alors j’ai commencé un long chemin :
sentir chaque peur au moment d’agir et la laisser exister.
Ressentir en venant me soutenir
– moi-même ou avec une amie, ou un professionnel
comme autant d’indices et de cartes au trésor.
J’ai fait ce chemin :
guérir les liens que j’avais tissés
pour être nourrie de reconnaissance et créer,
à la place, un lien intérieur à moi-même.
Me reconnaître : je suis différentes de tous les autres
et je suis venue sur Terre pour être moi.
Cette version de la vie que je suis la seule à pouvoir incarner.
Donc, forcément, les autres auront toujours quelque chose à redire,
puisqu’ils sont « autres »… même s’ils m’aiment.
Et, pas à pas, peur après peur,
Carte au trésor après carte au trésor,
je me suis détachée de tout.
Je me suis progressivement retrouvée dedans,
comme en apesanteur : libre, centrée, aimée de l’intérieur.