« Et si j’étais née en 17, à Leidenstadt… »
…aurais-je été meilleure ou pire que ces gens si j’avais grandi avec un père soumis toute la journée par son patron, qui le traite comme un numéro. Un père qui se défoule sur ma mère quand il rentre à la maison, ivre… ou pas forcément en fait. Juste frustré, de s’être tu toute la journée sans pouvoir répondre. Un père violent en gestes ou en mot, en moqueries… sur moi, parce que faut bien que ça sorte et avec moi c’est moins risqué pour lui… Un père qui se défoule sur ma mère, sur moi… ou pas forcément en fait, sur l’autre. L’autre, le différent, parce que c’est plus facile pour se défouler.
Un père qui m’aurait rabâché toute mon enfance que « les noirs lui prennent son travail », que sans eux tout irait mieux, il serait plus heureux ou serein… je me peut-être prise à rêver qu’alors il deviendrait doux et aimant…
Qu’aurais-je été, moi, si, en plus de mon père, j’avais été scolarisée. Toute la journée enfermée contre mon gré dans une école qui fonctionne par le jugement, la sanction, les attentes, la comparaison de petits êtres dès 3 ans à peine… Qu’aurais-je été si, nulle en maths, mais intuitive, créative et moteur, j’avais été inadaptée au système scolaire. Si je m’étais sentie toute ma jeunesse incapable, pas assez, humiliée par les commentaires des profs, des profs qui m’auraient vu à travers le prisme de leurs vision du monde…
Qu’aurais-je été face à mes parents, tenant dans leurs mains mon bulletin scolaire et son image si réductrice de qui je suis… Comment je me serais sentie sous leur regard, leurs peurs, leurs critiques ?
Qu’aurais-je été si j’avais dû à mon tour subir un job, issu d’une voie de garage parce que personne ne m’aurait appris jamais donné l’occasion d’apprendre en quoi je suis douée. Seulement ce en quoi je ne suis pas douée. Si j’étais devenu policier par exemple, pour tenter quand même d’être utile au monde, d’aider les autres puisque personne ne m’avait aidée moi.
Qu’aurais-je ressenti si, arrivée là, j’avais pris de plein fouet les agressions d’une profession victime du mépris de toute une population. Une profession que l’on résume à des des brutes, gauches, illettrés, inutiles voire alcooliques.
Une profession perçue à travers les séries américaines, dans lesquelles les policiers sont des incompétents, corrompus, faibles, incapables de viser, de protéger qui que ce soit et qui arrivent systématiquement quand c’est tout est fini. Une profession qu’on oppose littéralement aux héros (civils, super-héros, FBI, NCIS, SHIELD… ).
Qu’aurais été si j’avais senti à quel point, rien qu’en mettant mon uniforme, je devenais le méchant, la cible à abattre, dans certains quartiers où passer en voiture serait vécu comme un défi… Si en plus, j’avais vécu chaque jour des scènes de violence inconcevables, produit du pire de l’être humain, sans suivi thérapeutique pour m’aider à évacuer ma peur. Cette peur intérieure qui transformée en haine, deviendrait mon carburant, ma motivation pour continuer mon métier.
Qu’aurais-je fait moi, si j’avais cumulé la frustration, la haine et le besoin de vengeance de toute une vie ?
Aurais-je pris, moi aussi, l’excuse du jugement facile de la différence, qu’elle qu’elle soit, pour me défouler ? Moi qui n’aurais jamais eu le droit d’être différent, d’être autre, d’être moins logique, moins doué, moins sportif, moins séduisant, moins confiant, moins musclé, moins belle, moins sexy, plus intériorisée, plus créative, plus naïve sans être jugée, critiquée, rejetée…
Que serais-je devenue si j’avais grandi sans jamais avoir été aimée pour ce que je suis ?
Aurais-je un jour dérapé dans la violence physique de la même façon que ces adultes qui trouvaient toujours de bonnes raisons d’être brutaux avec moi, alors que j’étais incapable de me défendre physiquement ni oralement ? (« ne répond pas insolent ! ») Aurais-je utilisé la violence physique comme tous ces parents qui rentrent du travaillent épuisés et sans patience et crient, menacent ou tapent en toute légalité des enfants sous couvert d’éducation, pour leur bien…?
De mon simple genou et grâce à cet uniforme, mon désespoir se serait peut être lui aussi changé en orgueil, puis en sadisme, puis en rage et enfin en aveuglement… Peut-être aurais-je, moi aussi, appuyé sur ce genou pendant 7 minutes 46, sans écouter la plainte de cet homme, comme mon père m’avait tapé, sans écouter mes plaintes, comme mes profs m’avaient punis, rabaissé ou jugé, sans entendre ma douleur et ma honte, comme mes camarades s’étaient moqués sans me connaître…
… j’aurais moi aussi appuyé, et toute cette charge de rage aurait appuyé avec moi, sans entendre, moi non plus, les supplications de cet homme, à terre, impuissant… « please, I can’t breath… ».
Je ne sais pas ce que j’aurais fait… Mais peut-être que ce n’est en se défoulant à nouveau sur ces « autres », les policiers, et en étant à nouveau jugeant, intolérant, enragé, qu’on fera changer les choses. Peut-être est-il temps de prendre le problème à la base, de bâtir de nouvelles fondations si nous voulons un autre monde.
D’enseigner aux enfants de racistes, d’homophobes, de misogynes ou de féministes, de religieux, d’anti-gros, d’anti-roux, ou aux élites qui perçoivent les « simples salariés » comme ayant moins de valeur – bref à tous les enfants puisque nous sommes tous potentiellement tous les intolérants de quelqu’un – que oui, nous avons tous la même valeur.
En commençant par donner aux enfants les mêmes droits qu’à n’importe quel Humain. L’intégrité physique, la dignité, le respect : interdire la violence éducative sous toutes ses formes, pour montrer que rien de donne le droit d’être violent, même pour le bien de qui que ce soit. Car, si on s’est battu pour le droit des femmes, des noirs, des homosexuels afin qu’ils soient considérés comme des humains comme les autres, rien n’a été fait pour celui des enfants. Ils sont encore inférieurs et soumis par les personnes supposés les protéger et leur enseigner les relations humaines. Des personnes qui vivent dans leur blessures passées et ne savent pas aimer et éduquer faute d’avoir été aimées elles-mêmes, et à qui on donne le droit légal de reproduire leurs schémas.
Et quand l’enfant se défend, on ne pense pas qu’il est courageux, fort, mais qu’il « répond », qu’il est arrogant, impertinent, mal élevé. Etre bien élevé c’est encore être sage, immobile, silencieux, soumis, docile. C’est un être allongé à terre un genoux sur la nuque et ne rien dire, jusqu’à ce qu’on ait l’âge – ou la force physique – de se rebeller. Jusque là, l’enfant n’a aucune issue que de subir.
Or l’adulte violent et intolérant a été lui -même enfant. Un enfant qui a appris le monde par l’expérience. Et l’expérience actuelle de tous les enfants – hors tribu aborigène – c’est que la raison du plus fort est toujours la meilleure. Que dans la vie il y a les dominants (adultes) qui ont le droit de soumettre les autres (enfants) puisque c’est « pour leur bien ». Parce qu’ils pensent mieux savoir ou avoir compris les intentions de l’enfant dans sa réaction. Parce que ça se fait, parce que personne n’est là pour voir ou intervenir, parce qu’il est petit et sans défense (à 25 ans, on le traiterait différemment…).
Un enfant qui a appris la violence comme solution à tout parce qu’il la voit partout. A la télé, même les gentils sont violents, mais ils ont le droit puisqu’ils sont « gentils ». De même que les adultes supposés l’aimer et le comprendre le plus, sont aussi ceux qui se permettent le plus d’agressivité.
Alors comment s’étonner de l’état du monde ? Comment oser exiger un monde d’adultes respectueux qui considèrent les hommes égaux, s’ils grandissent dans un monde où eux sont soumis, sans droit de réponse, juste parce qu’ils sont jugés inférieurs ?
Peut être aussi continuer par l’école. Une école qui n’aurait pas besoin que l’enfant se sente mal pour faire mieux, en remplaçant les heures de colle ou les punitions par des heures de méditation, de médiation, de soutien scolaire aux plus jeunes, d’investissement dans des projets solidaires… Une école qui le considérerait, le responsabiliserait aussi en cultivant le libre arbitre, l’esprit critique, l’autonomie, la philosophie, la sagesse, la nature et le fonctionnement du corps comme chez les peuples primaires… plutôt que l’obéissance aveugle, le par coeur ou la réponse unique.
Une école qui accompagnerait l’enfant à découvrir sa valeur propre, sa richesse intérieure : pourquoi est-il là et en quoi il est unique et indispensable au monde, précisément au coeur même ce qui le rend différent et inapte au système global. Une école qui se souvienne que s’il est nul ici, c’est qu’il est bon ailleurs… Une école qui sache que l’apprentissage passe par l’expérience ratée dont on tire un enseignement. Et que l’idée même de noter détruit toute notion de jeu, crée une peur de l’échec qui déclenche le cerveau reptilien et inhibe les deux autres cerveaux liés à l’apprentissage .
Une école qui incarnerait vraiment la liberté d’apprendre selon la pédagogie qui correspond à notre constitution neurologique : en tenant compte de la découverte des 7 cerveaux de Bruno Hourst et Albane Beaurepaire (logique, rythmique, visuel, introverti…), de l’enthousiasme comme engrais naturel, du cerveau limbique qui apprend à partir des 5 sens, de la relativité du rôle de l’âge, ou de la nécessité du choix d’appendre pour vraiment retenir, intégrer une information…
Une école qui incarnerait la paix, le respect : sans note, ni comparaison, punition, ni carotte. Pour éviter la honte, le rejet, le jugement source de toute violence et instinct de revanche. Et pour que l’enfant apprenne pour lui-même et pas par peur de « rater sa vie » alors qu’on sait bien que réussir sa vie n’est pas proportionnel aux résultats scolaires… Tendre vers la proposition de transmettre des infos utiles, au rythme où l’enfant en a besoin dans son projet, comme dans les écoles Montessori où les écoles dites Démocratique par exemple.
Une école sans humiliation, ni punition avec un système qui permet aux enfants de se défendre si les adultes les condamnent, loin du classique « l’adulte a toujours raison et c’est lui qui décide ». Une école où les profs, comme tout bon thérapeute, sont supervisés par un thérapeute ou un professeur spécialisé pour identifier ses projections sur les enfants en fonction de ses propres blessures d’enfant. L’enfant apprendrait ainsi que « toute vérité est relative et propre à chacun » plutôt que « l’autorité à tout pouvoir ».
Une école où on apprendrait le rôle des émotions : la colère est un outil naturel de défense qui monte quand nos limites ne sont pas entendues. Et elle monte jusqu’à la violence tant qu’elle n’a pas été formulée et reconnue quelque part… Où on apprendrait la communication non violente pour que plus personne n’ait besoin d’aller jusqu’à la colère quand il sent que ses limites ne sont pas entendues…
Un programme qui parle de la richesse de la différence : l’importance de la biodiversité pour l’humain aussi. Il existe peut-être des différences de traits chez l’homme, des « races » visibles comme chez toutes les espèces vivantes, mais aucune généralité ne peut être faite sur cette base puisque chaque être Humain est doté lui d’une conscience individuelle qui le rend capable de se remettre en question et d’évoluer. Une école qui apporterait une spiritualité laïc et universelle à partir de la base commune à tous les courants religieux toutes les sagesses ancestrales (catho, musulman, bouddhiste, juif mais aussi chamane, druidique, alchimique…) : l’amour de soi et de l’autre comme deux flammes d’un même grand feu. Le monde comme une illusion où nos réactions dans le présent sont mues par nos peurs et blessures passées.
Un programme soutenu par des bases de physique quantique : tous faits de la même lumière, la même matière, la même « conscience »… cette matière qui attire ce qu’elle vibre… cette matière intriquée où tout ce qu’on fait à l’un se répercute sur l’autre.
Une école qui raconterait aux enfants comment un monstre devient un monstre, au contact de son environnement.