Légitime et reconnu de l’intérieur…
« Et toi ? Tu fais quoi pour moi ? »
…c’est une blague ?
« C’est vraiment grâce à elle que tout s’est bien passé »
Elle plaisante ?… Elle se rappelle pas tout ce que j’ai fait, moi ?…
« Merci ! Merci ! Oh ! Cet homme est mon Dieu ! »
…hé, mais j’ai fait bien plus que ça pour toi !
« Cette fille a vraiment cette qualité là, c’est incroyable… »
…je fais pareil, depuis des années, et tu ne le relève même pas !
« Oui, je suis à mon compte depuis un moment et ça marche très bien ».
Elle est si sûre d’elle, si établie. Pourtant, qu’elle a bien moins d’expérience que moi..
…c’est moi qui devrait en être là.
Elles disent plein de bien de lui, l’encensent
…sans moi, il n’en serait pas là.
Il se dit au top, il est fier de lui…
…il ne voit même pas tout ce qu’il ne fait pas
et que je fais, moi, en plus du reste…
« J’ai presque fini mon livre ! »
Et moi, tant de pages qui s’accumulent…
Des pages entières qui crient :
Regardez, je suis une fille bien !
Moi aussi !
Grâce à moi !
Moi plus !
Moi mieux !
Je suis comme Patrick Swaze dans ghost,
au milieu d’une foule, je crie et personne ne m’entend.
Je fais tout pour que tout le monde soit bien
du lever au coucher mais tout, ce n’est jamais assez…
Et je suis épuisée…
…mais dès que je me pose, là, bizarrement, ça se voit :
toujours une petite remarque, de l’un ou de l’autre…
ou bien des conséquences
que d’autres ne gèreront pas pour moi, eux.
Les situations s’accumulent…
C’est insupportable…
« personne ne voit pas ce que je suis,
ni tout ce que je fais ».
D’aucun nommerait ça « orgueil »,
d’autres « égo ».
Evidemment, ce n’est ni l’un ni l’autre,
c’est la souffrance de l’enfant à l’intérieur
Ça va continuer jusqu’à ce que j’aille le rencontrer.
Allons-y, que ça s’arrête enfin.
Carte au trésor
Je laisse monter les sensations…
la gorge nouée, les bras sans force :
Et si ça n’arrivait jamais,
s’ils ne me voyaient jamais quoi que je fasse ?…
Pression dans la tête, yeux qui brûlent :
…et si je renonçais ? Abandonner,
me contenter du minimum,
être ce qu’il croient voir,
devenir suffisante ?
Non. Ce n’est pas juste.
Un poids dans ma poitrine
qui remonte dans ma gorge…
et les mots sortent :
« Je suis compétente !
Voyez-moi bon sang ! Je suis douée dans tellement de domaines !!!!
Je comprends tellement de choses
dont vous n’avez même pas conscience,
tellement plus que ce que vous imaginez !
Et vous ne me voyez pas ! »
Pleurs, désespoir…
Des images arrivent soudain…
…mes profs d’histoires…
…celui qui ne comprenait pas mon humour :
« Mademoiselle Bassinot,
vous avez eu un accident de poussette
quand vous étiez petite ou quoi ? »
Aïe.
Et toute la classe rit.
…celui qui me prenait de haut
quand je posais la question « bête »
que ma voisine n’ose pas poser tout haut.
Je ne voulais pas qu’elle se sente nulle
ou qu’on me dise que je « bavarde »
mais je voulais qu’elle ait sa réponse :
« Mademoiselle Bassinot,
le vide intersidérale
plane entre vos deux oreilles… ».
Aïe.
Et toute la classe rit.
…mon père, qui me répond comme si c’était une évidence :
« tu ne sais pas ça ? »
Lui l’a déjà appris avant, enfant.
On a pris le temps de le lui enseigner…
Aïe.
Et il rit.
Et ce prêtre qui m’agresse, agacé :
« J’avais dit d’écrire un témoignage personnel,
pas de faire un copié coller d’un truc tout fait ! »
Aïe.
Mais… je l’ai écrit moi-même ! Pour mon filleul…
Et il sourit : « Mais oui, bien sûr »
Et cet autre, qui me parlent avec condescendance
de ce que font les gens « normaux »
comme si être différente de lui c’était être normale
comme si avoir une autre façon de faire c’était forcément avoir tort.
Et elle qui me lance que je suis « perchée »
comme si avoir un autre point de vue
était forcément un manque de réalisme, de conscience,
d’intelligence voire même être dangereuse…
Aïe.
Et elle rit, pour faire passer le mot, l’air d’être gentille…
Et ces autres qui ne comprennent pas…
et voit dans mes comportements des « défauts » :
de l’arrogance, de l’orgueil, de la bêtise ou de la faiblesse.
J’entends les mots, les jugements,
je revois les regards…
Ils ne comprennent pas que ce qu’ils condamnent
est peut-être une part gardienne qui me tient en vie.
Le simple indice d’une carte au trésor.
… ou peut-être même que ce qu’ils voient chez moi
et qui les fait tant réagir et médire parle d’eux,
d’une carte au trésor à aller voir en eux,
qui les ouvrirait à d’autres façons de percevoir…
Mais les mots ne servent à rien.
je ne peux pas changer l’autre.
Je ne peux que me changer moi.
Alors on continue…
Elles s’accumulent devant moi,
toutes ces fois où je me suis sentie nulle,
petite dans leurs yeux, stupide, naïve
arrogante ou « je sais tout ».
Je sens la douleur : blessée,
abimée par leurs jugements et leurs certitudes
qui ne laissent pas de place à un autre possible…
Tout remonte.
L’angoisse et la douleur explosent dans ma gorge
et je hurle…
des pleurs… comme un barrage qui cède,
un chagrin désespéré, enfin exprimé.
Et les pleurs finissent par s’apaiser.
Puis je viens poser des mots.
reconnaitre la douleur de cette petite
à l’intérieur.
Je la fais venir devant moi :
« Je comprends ce que tu ressens :
tu as eu mal, tu t’es sens nulle, invisible, incomprise…
rejetée, jugée, humiliée, rabaissée, piétinée…
Tu as besoin qu’on te voit
pour qu’ils t’estiment enfin
et que la souffrance de leur jugement cesse… ».
Elle me regarde…
Je continue :
« Ce n’est pas normal ce qui s’est passé.
On aurait dû te soutenir, te rencontrer, te demander, vérifier…
Tu aurais dû être encouragée, valorisée, questionnée,
avoir le droit d’être toi, de te tromper aussi en étant accueillie…».
A mesure que je lui parle,
elle se met à pleurer à son tour :
le soulagement d’être enfin entendue, comprise.
Et mon corps se sent un peu plus apaisé encore.
« Moi, moi je te vois, ma belle…
Je sais qui tu es.
Je sais ce que tu vaux.
Je sais que tu fais plus que de ton mieux,
tous les jours,
même si personne ne le voit.
Et quand tu ne le fais pas,
je sais aussi pourquoi.
Je te connais ».
Elle me regarde, pleine d’espoir…
« A partir de maintenant,
je suis là et je te protège.
Tu n’as plus besoin de leur prouver ta valeur,
je la connais. Plus besoin d’aller chercher leur regard,
leur reconnaissance, moi, je te vois.
Plus besoin de te justifier ou de convaincre,
tu as le droit d’être toi.
Plus besoin d’en faire toujours plus
pour « mériter » d’être aimée…
Moi, moi je t’aime… ».
Je la regarde et avec l’aide d’un coussin,
je la prends dans mes bras…
« Si leurs mots te blessent,
viens dans mes bras, je suis là.
Tout va bien maintenant.
tu es en sécurité en moi. ».
Je me relâche encore…
Soulagée…
Une nausée monte alors soudainement…
…comme si je tombais dans le vide.
C’est douloureux, difficile à supporter…
C’est comme si…
…si je mourrais à quelque chose
d’ancien, présent depuis très longtemps.
Je laisse faire sans chercher à comprendre.
Je sais que mon corps fait « reset » à sa façon.
Je lui fais confiance.
Et enfin, mon corps et mon esprit s’apaisent totalement.
L’ambiance a changé.
Qu’ils disent et pensent ce qu’ils veulent,
y compris sur moi. Je sais ce que je vaux…
Incroyable…
…c’est si simple…
…et ça marche à chaque fois.
…pourtant celle-là, je ne pensais jamais la passer.
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